Entomologie et cinéma.
Ladislas Starewitch est penché sur une petite table où sébattent deux gros insectes, des Lucanus Cervus, mais dès quil allume les projecteurs avant de démarrer sa camera les protagonistes se figent... Il essaye de les exciter de diverses façons, en vain. Il se souvient alors des folioscopes qu'il réalisait autrefois dans les marges de ses cahiers. Il se souvient aussi certainement de projections de films à trucages qui ont commencé à arriver en Russie. Il imagine alors d'utiliser des insectes naturalisés quil renforce avec des fils métalliques et il tourne son film image par image. Le résultat est tel que longtemps de nombreux spectateurs imaginèrent qu'il avait fait tourner des animaux dressés.
Ce film très court, 15 mètres, Lucanus Cervus, est réalisé en juin 1910. L. Starewitch sennuie alors beaucoup, employé au cadastre de Kovno. Cest un esprit indépendant qui a assidûment fréquenté lécole buissonnière observant tout autour de lui dans la campagne. Tout lintéresse : le dessin, la peinture, le théâtre, la photographie. Curieux des techniques modernes, il a déjà donné des photographies au Musée de Kovno et incite le directeur à le laisser filmer les alentours : les monuments, la nature, les libellules... Mais certains détails de cette nature se refusant à son objectif, cest en cherchant à la reproduire quil en vient au cinéma danimation.
Passionné dentomologie depuis ladolescence, il a constitué une importante collection d'insectes et surtout de papillons, il les capture, en achète, procède à des échanges. Cette passion ne l'a jamais quitté, une partie de sa collection la accompagné dans lexil de Moscou à Fontenay où il accumule encore les catalogues. Ses connaissances entomologiques imprègnent l'ensemble de son oeuvre cinématographique. Sa maîtrise de l'animation est fondée sur son extrême connaissance de l'anatomie des animaux et des mouvements qu'il met en scène. Que ce soit des insectes, des oiseaux ou des mammifères, le détail anatomique, la fluidité du mouvement et les gros plans participent à un degré de réalisme sans doute inégalé.
Et parmi tous les illustrateurs de fables de La Fontaine, L. Starewitch se rattache à la tradition de ceux qui comme Jean-Ignace-Isidore Grandville dessinent des animaux pourvus de poils, de moustaches et de dents ; le cinéaste ajoute les gestes et les attitudes des humains. La cigale transie de froid bondit despoir en apercevant la maison de la fourmi, le rictus du rat des champs fait bien comprendre quil nest pas convaincu par la vie parisienne. Les expressions du Lion qui doute, ordonne, sexaspère et souffre devenant la risée de son entourage deviennent possibles grâce aux marionnettes de plus grande taille recouverte de peau de chamois aisément malléable : le naturalisme atteint son apogée. Les marionnettes anthropomorphes sont traitées plus sobrement. Mais L. Starewitch ne donne pas seulement vie aux animaux, cest aussi toute la nature quil anime : la forêt, leau, le ciel, le temps et le son. Lanimateur va jusquà prendre la place du créateur, dans LHorloge magique Ondin repeint les papillons à sa façon, rajoute un pétale à une fleur... Il ordonne la nature à son goût. Les animaux intégrés à des décors deviennent les acteurs dune histoire qui nest pas seulement la leur. Lentomologiste devient anthropologue et décrit à travers ces animaux les sociétés humaines se rattachant ainsi à tout un courant de la littérature européenne.
L. Starewitch a toujours vécu entouré danimaux, empaillés et vivants, de chiens, doiseaux qui mangeaient régulièrement dans sa main et de tous les animaux en général quil observait constamment. Habitant près du zoo de Vincennes, il en a photographié tous les occupants. Il devait trouver la nature bien paisible et en retirait une source de sérénité et despoir. Dans la nature sans doute peut-on concilier linconciliable et construire une harmonie loin des tumultes du monde. Son dernier film, inachevé, porte deux titres Comme Chien et chat et Nous sommes tous des Amis.
" Cest bien par hasard que le savant quil était vint au cinéma. Lartiste qui était en lui joua un tour au professeur. Le créateur artiste fut servi par le savant. " Carl Vincent, août 1930.
François Martin.