Transcription de lémission BULLES DE REVES,
Radio libertaire (FM 89.4). Samedi 29 novembre 2003, 17 à 19 heures.
Emission animée par
Olivier Catherin
Serge Kornmann
avec pour invités le 29 novembre 2003 :
Léona-Béatrice Martin-Starewitch, petite-fille de Ladislas Starewitch,
François Martin
Elodie Imbeau, du département pédagogique de la Cinémathèque Française.
Annabelle
Cette émission a été consacrée :
* au livre : Ladislas Starewitch 1882-1965 écrit par Léona-Béatrice Martin-Starewitch et François Martin (LHarmattan, 2003) et au film Les Contes de lhorloge magique de Ladislas Starewitch qui sort en salle le 10 décembre 2003.
* à une chronique de Serge Kornmann sur le cinéma danimation chinois des années Mao.
* à une présentation des activités jeunesse de la Cinémathèque Française par Elodie Imbeau.
* aux dernières nouvelles de lanimation présentées par Annabelle.
Seule la première partie consacrée à Ladislas Starewitch est retranscrite ici.
* pour contacter le service pédagogique de la Cinémathèque Française : Cinematheque.Pedagogie@wanadoo.fr
* pour contacter Serge Kornmann :
afca@afca.asso.fr
Olivier Catherin : Bulles de rêves reçoit aujourdhui Léona-Béatrice Martin-Starewitch et François Martin, coauteurs du livre Ladislas Starewitch 1882-1965. Nous allons parler de ce livre ainsi que du film Les Contes de lhorloge magique qui va sortir très bientôt sur vos écrans. On va recevoir aussi Elodie Imbeau de la Cinémathèque Française qui nest pas encore arrivée mais qui ne saurait tarder... Serge Kornmann, toujours présent, qui va nous parler danimation chinoise puisque cest un sujet quon va évoquer avec Elodie Imbeau. Quant à Annabelle, elle viendra un petit peu plus tard parce que la pauvre Annabelle, comme beaucoup de monde, elle est un petit peu malade et nous rejoindra en fin démission pour nous donner toute lactualité de lanimation. Donc bonjour Béatrice, bonjour François...
Léona-Béatrice Martin-Starewitch (L-Béatrice-MS), François Martin et Serge Kornmann : Bonjour !
Olivier Catherin : Nous allons parler de cet ouvrage Ladislas Starewitch qui vient de paraître... Il y a combien de temps, il y a très peu de temps, non ?
François Martin : Quelques mois, il a dû sortir au mois de juillet...
Olivier Catherin : ...aux Editions de LHarmattan. Cest un énorme livre, un énorme travail. Il y a 450 pages de travail de recherche historique. Si vous voulez tout savoir sur Starewitch il faut acheter ce livre, il ny a pas déquivalent. Il y a toute la vie de Starewitch, il y a, à travers la vie de Starewitch, le début du cinéma en Russie, la France des années 20 et 30... Cest tout à fait passionnant... Beaucoup de témoignages, beaucoup de textes de Ladislas Starewitch lui-même. Alors expliquez-moi un petit peu comment vous avez réussi à réunir toute cette documentation et depuis combien de temps vous travaillez sur cet ouvrage.
François Martin : La documentation, pour lessentiel, cest le fonds familial. Cest-à-dire que Starewitch lui-même a conservé pas mal de correspondances, de lettres, de contrats. Il avait également à partir des années 20, quand il est arrivé en France, pris lhabitude dêtre abonné à LArgus [LArgus propose un service de presse en communiquant à celui qui en fait la demande tous les articles parus le concernant], de collecter et de conserver toutes les revues de presse quon lui envoyait, de les coller sur des registres qui existent encore. Il y a donc un fonds familial considérable et cest le support principal du livre. Ce qui fait que pour la période davant les années 20 il y a peu de documents écrits et pour les années 20 elles-mêmes...
Olivier Catherin : ... avant les années 20 cest essentiellement la Russie...
François Martin : ... la Russie. Les documents écrits datent de lépoque où la production de films sest un peu compliquée. Dans les années 30 avec le sonore. Starewitch a eu besoin de producteurs, de contrats. Il a eu des relations importantes avec la profession, des relations difficiles aussi, souvent, ce qui a produit des courriers, des correspondances abondantes. A partir des années 30 on sait à peu près comment il a travaillé, comment il a produit ses films. Sinon, il y a nombre de documents, de scénarios, de dessins... de scénarios de films quil a réalisés, de projets quil na pas réalisés, et, cest un peu la même chose, les documents commencent à partir de la fin des années 20 et des années 30. En plus on a consulté les archives qui peuvent exister. La presse surtout de lépoque, la presse cinématographique, professionnelle... et puis on est allés voir, à Paris surtout, à la Bibliothèque de lArsenal, où il y a beaucoup de documents et puis un peu à la B.I.F.I. [Bibliothèque Internationale du Film et de lImage]. On a retrouvé quelques pièces qui nous intéressaient quon avaient déjà dans le fonds, des doubles, mais aussi des documents originaux qui ont complété le fonds documentaire. Et puis il y a des personnes quon a rencontrées au fur et à mesure qui nous ont envoyé des documents, des affiches, enfin... cest aussi un peu collectif comme rassemblement darchives et comme travail.
Olivier Catherin : A partir de quand avez-vous commencé à avoir lidée de ce livre ?
François Martin : Lidée, cest assez récent. Cest, enfin récent ! ça date dune dizaine dannées peut-être.
Olivier Catherin : Oui, quand même !
François Martin : Je dis récent parce que... Starewitch aussi, au début, cétait une énigme. Pour Béatrice peut-être moins, mais quand jentendais Nina et Irène, les deux filles de Starewitch, parler de leur père, elles le présentaient comme une sorte damateur dilettante qui faisait un film de temps en temps, qui allait le vendre quand il avait besoin dargent et puis qui refaisait un film pour amuser ses enfants, pour son plaisir et puis qui ne le vendait pas forcément, etc... Je nimaginais pas du tout, ni son oeuvre, à lépoque moi je navais pas vu les films, je ne les connaissais pas du tout, ni sa façon de travailler. En plus cétait un immigré, il a traversé les frontières... il y a eu beaucoup de réfugiés de lépoque et même dautres époques en Europe au XXème siècle, il na pas eu une vie unique, mais cest un immigré qui a particulièrement réussi dans son domaine et il y a une continuité remarquable dans son travail, son premier film est de 1909 quand même, jusquà la fin des années 1950, pendant un demi-siècle il a tourné de façon à peu près continue.
Olivier Catherin : Alors pour les ignorants, Ladislas Starewitch est lauteur notamment du premier long métrage danimation tourné en France Le Roman de Renard et puis de tas de courts métrages célèbres. Cest vrai quon connaît surtout son oeuvre française... Le Rat des villes et le rat des champs, la série des Fétiche, La Cigale et la fourmi, beaucoup de contes, de fables qui ont été adaptés, beaucoup de fables surtout de La Fontaine...
François Martin : Il y a deux films connus de la période russe, des films danimation, des courts métrages. Il y a une première version de La Cigale et la fourmi qui la fait reconnaître en Russie à tous les niveaux, même le Tsar sest intéressé au cinéma à cette occasion. Cest un film réalisé en Russie qui a été vendu dans le monde entier à lépoque : une reconnaissance en Russie et en Europe de lOuest, aux Etats-Unis même, dans le monde entier.
Serge Kornmann : Le Tsar lui aurait remis un médaille...
François Martin : Voilà, cest ce quil raconte lui-même. Le Tsar aurait remis un beau cadeau à Khanjonkov, qui était le producteur, et Khanjonkov aurait transmis un cadeau un peu moindre à Starewitch mais lessentiel était là, cest la reconnaissance.
Olivier Catherin : En bon producteur, il génère des profits.
François Martin : Oui, mais Starewitch a toujours voulu être, bon cest quelquun qui est discret sans doute dans sa vie quotidienne, dans tout ce quil raconte, mais il a toujours été avide de notoriété, de reconnaissance, et même si cest un geste un peu moindre, il lui a fait extrêmement plaisir. Durant toute sa carrière quand il a reçu des prix, par exemple, il y a attaché un grand prix, un grand poids, il était avide de reconnaissance et cela a dû lui faire extrêmement plaisir.
Le second court métrage danimation de la période russe qui est assez connu est La Revanche du ciné-opérateur, avec un scénario original, là, avec des inventions, des trucages, inventions de scénario où il filme des séances de cinéma déjà. On voit lécran qui flambe. Cest un film qui a marqué les esprits à lépoque.
Olivier Catherin : Pour la période russe comment avez-vous opéré, parce que je suppose quil y a relativement peu darchives de la période russe, mis à part des documents venant de Starewitch lui-même.
François Martin : Pour la période russe... On a réussi à voir les films... Dans sa période russe, il a tourné des films danimation dont on vient de parler pour les principaux, mais aussi des films avec acteurs, un grand nombre de films avec acteurs. Les films danimation ont été retrouvés surtout en Grande-Bretagne, aux archives britanniques au B.F.I. [British Film Institue]. Nous avons pu les voir, en obtenir des copies. Nous connaissons donc, nous, tous les films conservés de cette période, les films danimation. Les films avec acteurs sont conservés à Moscou, au Gosfilmofond.
Olivier Catherin : Il y en a qui ont disparu, je pense.
François Martin : Ah oui, la plupart ont disparu et même, tous les films avec acteurs sont incomplets. On sait quil reste tant de bobines, on ne connaît pas la longueur dorigine et beaucoup de bobines sont conservées sans cartons le plus souvent. Ce sont des films extrêmement incomplets. Nous les avons vus en 1989 lors dune grande rétrospective du cinéma russe pré-révolutionnaire...
Olivier Catherin : ... à Beaubourg ?
François Martin : ...à Pordenone, à Orsay ensuite, donc on les a vus à cette occasion.
Pour la période russe il y a deux autres sources. Starewitch lui-même a écrit, à la fin des années 1940 sans doute, un petit texte qui sappelle Pamietnik en polonais, ce sont des souvenirs. Et dans ces souvenirs de la fin des années 1940, il parle surtout de son enfance et de ses débuts au cinéma, surtout de la période russe.
Olivier Catherin : Il a écrit en polonais, en russe...
François Martin : ... en polonais.
Olivier Catherin : En polonais ! Parce que Starewitch était polonais, il a commencé sa carrière en Russie. Il est né...
François Martin : ... à Moscou. Sa famille était en partie, du côté de son père, dorigine lituanienne. Il est de ces confins de lEurope où chacun occupait le voisin à lépoque. La Lituanie était occupée par la Pologne, cette partie de Pologne était occupée par lEmpire russe, il est de cette Europe un peu compliquée sur le plan politique.
Olivier Catherin : Il y a un très joli passage dans le livre où il va retrouver son père dans un petit village, Survilis kis, en Lituanie. Il rencontre tous ses cousins et se rend compte de cette famille absolument énorme. Qui veut évoquer un peu ce passage ? Je suppose que cela vient de cet ouvrage, Pamietnik, de ces souvenirs quil a écrits lui-même.
L-Béatrice-MS : Oui, cest dans Pamietnik quon a trouvé cette information. Et justement son père lemmène dans ce village parce quil voulait quil retrouve un peu ses sources et Starewitch était surpris de voir au-dessus de chaque maison un sceau, une échelle, etc... et en fait chacun allait prendre en charge un instrument pour éteindre les incendies. Mais il ny avait que des Starewitch...
Olivier Catherin : Oui, en fait, cest un village de famille...
L-Béatrice-MS : ... de famille, cest ça, oui, des Starewitch et des Szyrmulewicz.
Olivier Catherin : Et vous êtes allés visiter ce village, il existe toujours ?
L-Béatrice-MS : Oui, oui, bien sûr, il y a deux ans nous sommes allés en Lituanie, au village de Starewitch.
Olivier Catherin : Et il y a toujours des Starewitch ? Enfin des membres de la famille, vous ne savez pas ou peut-être eux-mêmes ne le savent pas ?
L-Béatrice-MS : On a essayé de se renseigner mais eux-mêmes ne le savent pas...
François Martin : ... et on ne parle pas lituanien.
L-Béatrice-MS : Non... il y a du goudron et après il y a de la terre et des champs. On est allés aussi, en ville, à Kovno. On a fait un périple lituanien pour se replonger là dedans. Il y avait de gros corbeaux qui ressemblent beaucoup aux marionnettes que Starewitch fabriquait.
Olivier Catherin : Ce qui apparaît dans le livre, dans le début du livre notamment, cest le caractère de Starewitch, on a limpression dun trublion, dun farceur, dun individualiste... Il était comme ça, vous lavez connu comme ça vous, Béatrice ?
L-Béatrice-MS : Ah moi, jai connu un homme très, très silencieux, qui était très observateur, qui avait un regard taquin et, en fait, il était très agréable à vivre. Moi jétais une petite fille et lui était un vieux monsieur et on ne parlait pas, on vivait dans le silence tous les deux mais jétais avec lui quand il travaillait, quand je revenais de lécole, et il y avait un courant qui passait. Et même avec les animaux, les animaux venaient vers lui, les oiseaux, les chats, les chiens...
Olivier Catherin : Cela veut dire quil sest un peu assagi parce apparemment il faisait beaucoup de farces, de plaisanteries...
L-Béatrice-MS : Oui, quand je lai connu il était tout de même âgé. Mais cest vrai quil était assez taquin quand même.
Olivier Catherin : Cela se sent dans son cinéma, il y a toujours beaucoup dhumour dans tous ses films.
L-Béatrice-MS : Beaucoup dhumour, et de lhumour gentil. Ce nest jamais méchant, cest un peu caustique mais il y a toujours le meilleur aspect de lhomme qui sort quand il jette un brin dhumour.
Olivier Catherin : Alors comment vient-il au cinéma puisque a priori il navait pas lintention de faire du cinéma et de toute façon dans les tout débuts du siècle le cinéma nétait pas encore très, très connu ?
François Martin : Il sintéressait à tout ce qui était artistique, à tout ce qui était en dehors de lécole. Il a fini sa carrière scolaire par plusieurs renvois et un renvoi définitif. Il sintéressait au théâtre, à la peinture, au dessin à tout ce qui pouvait exprimer la vie, lart, ce qui nétait pas strictement scolaire. Il a commencé à travailler, il avait un emploi quand même, son père lui avait trouvé un emploi de fonctionnaire, on dirait maintenant, au cadastre, demployé de mairie et cest dans ce cadre là sans doute quil a eu loccasion de circuler dans la région, officiellement et pour son emploi, et de découvrir les traditions lituaniennes, de sintéresser à la vie des gens. Il était en contact avec le musée de Kovno, on ne sait pas exactement quelle relations il avait avec le directeur, co-fondateur ?... enfin il y a tout un tas de mots qui circulent, mais cest dans le cadre de ce musée sans doute quil a commencé à prendre des photographies de bâtiments, de cérémonies, de choses comme ça et quand la technique du cinéma est arrivée il a convaincu le responsable du musée quil fallait filmer également les personnes. Et cest ça ses premiers films, ce sont des films à connotation ethnographique pour le musée de la ville. Ce qui a rendu sans doute possible ces films, cest quil y avait justement au début du XXème siècle en Lituanie un courant nationaliste, daffirmation des Lituaniens face à la Pologne, face à la Russie, il a sans doute été porté indirectement par ce mouvement qui la aidé à convaincre le directeur de filmer ces traditions lituaniennes. Lui-même nétait sans doute pas très nationaliste, pas convaincu en tout cas davoir à exprimer ses idées à travers ses films, mais cest comme ça quil est venu au cinéma. Et ensuite, avec son amour des papillons, des insectes il a créé ses propres films pour vouloir, cest un épisode très connu, filmer le combat de Lucanus Cervus. Donc, là, il a reconstitué...
Olivier Catherin : de scarabées...
François Martin : de scarabées. Cétait son premier film propre et danimation.
Serge Kornmann : Est-ce quil a pu voir des films dEmile Cohl par exemple, en poupées animées ou pas ? Est-ce que vous là vous avez des certitudes ?
François Martin : Certainement ! Cest ce quon raconte. On a essayé de savoir quel film de Cohl il aurait vu, on na pas réussi à savoir, mais il est certain, on a vu avec Pierre Courtet, que des films dEmile Cohl étaient diffusés en Russie vers 1907-08, en fait tout au début, cest tout à fait possible. Dans les marionnettes, les documents quil a laissés, il y a de petites silhouettes de crocodiles, de personnages qui sont exactement dans le style dEmile Cohl avec des traits, de vraies silhouettes en fil de fer. Il y a donc une sorte dhommage, de reconnaissance, je ne sais pas, mais cela atteste quil a certainement vu des films dEmile Cohl. Mais lequel, on ne le sait pas.
Olivier Catherin : Il nen reste pas moins quil a dû inventer par lui-même son savoir-faire pour réaliser ses films danimation. Il a peut-être vu des films danimation, mais il a fallu quil invente tout.
François Martin : Il y a dautres personnes avant lui qui avaient filmé de lanimation, image par image, des marionnettes mais dans son coin, il a tout inventé et, au fur et à mesure, que ce soient des techniques de marionnettes, des fabrications de marionnettes, des appareils de prise de vue, de déformation de limage, déclairage, il a tout inventé. Cest ça quil souhaitait lui, cétait son plaisir...
Olivier Catherin : Oui, cest un bricoleur...
François Martin : ... inventer des trucs, bricoler.. Et cest là quil sest réalisé. Cest ça qui a canalisé sans doute, lénergie du trublion de la fin de sa scolarité.
Olivier Catherin : Alors il travaille très vite avec le producteur quon évoquait, Khanjonkov, qui est un producteur très important de lépoque, le plus important qui produit beaucoup de films, de longs métrages en prises de vues réelles, etc... Quel est lécho des premières oeuvres quil réalise... On sait un petit peu ?
François Martin : Il a tout de suite été connu. Par contre on ne sait pas exactement comment il est entré en contact avec Khanjonkov. Starewitch raconte, lui, que cherchant des caméras, du matériel pour faire ses films, il est allé à Moscou, qui était la capitale du cinéma pour quon laide à trouver des caméras, etc... et que les grandes compagnies françaises qui étaient là lon évincé. Il na trouvé que Khanjonkov pour laider. Et Khanjonkov dit un peu linverse, il dit quil avait entendu parler de Starewitch et que cest lui qui lui a proposé un contrat, qui lui a proposé de laider pour le faire sortir de sa province, en quelque sorte, pour laider à tourner. Bon, dans les deux cas, cest le talent et le début de notoriété de Starewitch qui lont aidé à rencontrer Khanjonkov et à tourner.
Olivier Catherin : Il débute avec de lanimation dans un contexte où il y a déjà une industrie du cinéma qui est naissante mais qui est assez importante parce que finalement le cinéma russe des années 10 cest quand même beaucoup, beaucoup de films, des vedettes... Mosjoukine...
Serge Kornmann : ... de grandes vedettes...
François Martin : ... de grandes vedettes, de grands réalisateurs, Protazanov, Bauer... Cest un grand cinéma le cinéma russe de films réels avec acteurs de ces années 10 et Starewitch y a participé, peut-être pas, enfin cest à évaluer, au même niveau que Protazanov ou dautres, mais il était dans le lot des tout premiers que ce soit par lanimation ou par des vues en prises réelles.
Olivier Catherin : Oui, il passe très vite à des vues réelles. On a évoqué des longs métrages, même quelques dessins animés dailleurs, ce que jignorais avant de lire le livre.
François Martin : Des dessins animés, aucun nest conservé, mais il en a fait quelques uns paraît-il. Alors il y a une autre source quand même quil faut citer sur le Starewitch des années russes cest louvrage dun Polonais, Wladislaw Jewsiewicki [Ezop xx wieku, Wladislaw Starewicz pionier filmu lalkowego i sztuki filmowej, Wydawnictwa Radia i Telewizji, Varsovie 1989, 231 pages et photographies], qui est décédé, malheureusement, il y a peut-être une petite dizaine dannées qui a eu accès aux sources polonaises, puisque quil parlait polonais, russe, il parlait toutes ces langues. Il a dû travailler à la fin des années 50, au tout début des années 60 à son livre paru plus tard à la fin des années 80. Il a eu accès à des sources polonaises et russes. Il a rencontré Starewitch, il a eu avec lui une correspondance assez abondante, il est venu à Fontenay, ils se sont rencontrés à la fin des années 50 et Jewsiewicki a pu entendre ce que disait Starewitch, confronter avec des témoignages de personnes quil avait interviewées lui-même en Russie ou des revues de presse et cest une autre source très intéressante, très, très utile sur le Starewitch des années russes.
Olivier Catherin : Il est revendiqué un petit peu par les Polonais, Starewitch ?
François Martin : Un peu par les Polonais...
Serge Kornmann : Par les Russes aussi, puisquon prétend quil est russe...
François Martin : Et puis on a une source qui dit aussi que les Lituaniens le revendiquent un petit peu...
Olivier Catherin : Et puis il est Français !
Serge Kornmann : Il convient de dire Polonais, une fois pour toute !
L-Béatrice-MS : Moi je dirais homme du monde !
Serge Kornmann : Oui, cest peut-être plus prudent !
L-Béatrice-MS : A la fois homme du monde parce quil était très élégant et très fin, très racé et homme du monde, parce que son oeuvre est internationale, mondiale, et quelle met toujours en avant ce quil y a de mieux dans lêtre humain, dans la poésie, dans la beauté, dans la recherche de se surpasser.
Olivier Catherin : Bien ! Il était cinéphile, apparemment, il aimait beaucoup le cinéma américain ?
L-Béatrice-MS : Oui ! parce que dès 1914... Jai une marionnette primitive et la marionnette primitive, cest Charlie Chaplin en insecte.
Olivier Catherin : Admirateur de Chaplin... Chaplin en insecte, ça donne quoi alors ?
L-Béatrice-MS : Cela donne que les basques de sa redingote... on dirait vraiment des élytres. Et ça cest une marionnette de 14 pour " boite à musique ". Et il a fait un film qui sappelle Amour noir et blanc [1923] dans lequel on voit Cupidon blanc et Cupidon noir qui rivalisent pour voir lequel est le plus efficace et les marionnettes, cest Charlie Chaplin, Tom Mix...
Olivier Catherin : le célèbre cow-boy...
L-Béatrice-MS : ... le célèbre cow-boy, cest Marie Pickford...
Olivier Catherin : ... la petite fiancée de lAmérique.
Serge Kornmann : Cest maintenant seulement quon se rend compte que cest un des atouts du cinéma muet américain aussi de représenter toutes les vedettes que nous ignorons maintenant si nous ne sommes pas cinéphiles, spécialisés même dans cette époque, quand on voit dans un film, quelconque sur le plan esthétique, les artistes de lépoque en caricature, sous forme de poupées animées même en Amérique ou de figurants dargile aussi dans les années 18. Nous ne parlons naturellement que de Starewitch mais pour dire cest un genre qui prend maintenant un certain relief parce quon veut connaître les réalisations des anciens films quand on les voit sous forme de vedettes caricaturées, cest un atout, cest un document de plus.
L-Béatrice-MS : Il y a un film que, moi personnellement jaime beaucoup, Les Yeux du dragon [1925]. Le prince des Yeux du dragon est un acteur japonais qui était très connu, Hayakawa Sessue. Il est très, très beau ce film. Il est encore muet avec intertitres, mais je ne désespère pas de retrouver, soit la bande son, soit de créer un nouveau film à partir de plusieurs courts métrages en mettant ce film en avant.
Serge Kornmann : Navez-vous pas déjà sorti une version du film, ou bien ce sont les Archives du cinéma qui...
L-Béatrice-MS : Non jai restauré ce film en muet avec intertitres. Cest-à-dire que quand je le projette, je le projette dans ces conditions là, alors quà lépoque il était projeté avec un orchestre ou au moins un piano dans la salle. Cest un film extrêmement musical avec un orchestre de musiciens. Ce film est muet, mais on entend la musique jaillir de lécran par lanimation. [Ce film, Les Yeux du dragon, était diffusé en première partie du Roman de Renard quand ce dernier a commencé à être distribué par Les Acacias, en 1989-1990]
Serge Kornmann : Ce qui ma frappé, cest le changement de cadre si je me souviens bien. Parce que lécran tout à coup devient vertical comme un tableau au lieu de rester horizontal et plusieurs fois il y a ce changement de cadre qui est... comme une expérience pour voir si on pouvait sortir du cadre cinématographique courant.
L-Béatrice-MS : Quand je suis allé à Pordenone, on ma dit quon avait retrouvé des films de Starewitch. Ce nétait pas très difficile de les identifier parce quil y avait ces caches, cest-à-dire que, par exemple, si une grenouille regardait à travers une longue vue, automatiquement il y avait un cache rond et on se mettait à la place de la grenouille et ça, cétait une innovation totale de Starewitch. Et cest vrai que par exemple que dans Les Grenouilles qui demandent un roi, le cadrage est différent selon ce que veut exprimer Starewitch.
Olivier Catherin : On va peut-être faire une petite pose musicale et on se retrouve. Que nous vous avez vous amené comme musique ? Quest ce quon va écouter ?
François Martin : Nous avons apporté deux musiques. Lune est un extrait de la bande sonore du film...
L-Béatrice-MS : Parle avec elle...
François Martin : Parle avec elle, et lautre est une petite chanson gaie de Bob Dylan.
Olivier Catherin : On va commencer par Almodovar, donc, et puis on se retrouve après pour évoquer larrivée en France de Starewitch.
... Cucurrucucù Paloma,
Olivier Catherin : Alors Elodie Imbeau est arrivée.. et elle repart ! Pendant ce temps là Serge Kornmann est en train de bricoler le micro quil a fait tomber... bref cest un peu la panique, ce nest pas grave, on va le réparer tout à lheure. Alors on pose le micro Serge et on va reprendre notre conversation après cette très jolie chanson.
A la fin des années 10, au tournant des années 20, Starewitch va quitter la Russie pour aller en France. Alors dans quelles circonstances finalement ?
François Martin : Les circonstances, cest la Révolution bien sûr,
Olivier Catherin : comme beaucoup de Russes à lépoque...
François Martin : ... comme beaucoup... jévoquais ses relations peut-être, ou labsence de relations avec le mouvement lituanien. Une des constantes de son attitude tout au long de sa vie, et il a rencontré des circonstances très, très souvent difficiles, est labsence de participation aux événements, et lui a toujours eu comme idée de tourner ses films. Pendant la guerre, il y a la guerre avant la Révolution, il a eu comme crainte dêtre mobilisé. Il a été nommé dans un Comité public qui ne lui plaisait pas trop mais il pouvait tourner pendant que dautres étaient au front, il a échappé à la guerre elle-même. Ensuite la Révolution : il a vu dans la fin de la période de restriction la possibilité de retourner à nouveau, mais cétait une période difficile aussi, de pénurie de film, de studio, etc... et cela a dû être la première fois, elle a été très courte, où il a envisagé la perspective de ne pas pouvoir tourner. Il a des projets que raconte Boris Mikhine, que rapporte Jewsiewicki, de films danimation, mais qui paraissaient un peu infinis avec des milliers de masques... et ce qui la sauvé, cest Khanjonkov. Plusieurs personnages ont compté énormément dans sa carrière et dans sa vie, Alexandre Khanjonkov est un homme remarquable, il lui a fait confiance pour les premiers films, il lui a encore fait confiance pour lui donner la direction dacteurs dans de grands films en 1912-1913...
Olivier Catherin : Y compris avec une vedette comme Mosjoukine...
François Martin : ... avec Mosjoukine qui était certainement la plus grande vedette du lieu, de lépoque, et quand Starewitch était dans la difficulté en 1918 - 19, Khanjonkov qui avait créé un studio en Crimée la emmené, lui a dit de venir. Il y a eu cette période très difficile que racontaient Irène et Nina dexil, à travers le front...
Olivier Catherin : ... ce sont les filles de Starewitch...
François Martin : ... de Moscou jusquà Yalta. Cétait un voyage extrêmement difficile. Il nempêche quil arrive à Yalta et là il a à nouveau tourné des films grâce à Khanjonkov.
Olivier Catherin : Pourtant cest une période très, très difficile pour le cinéma russe. Cest vrai que pendant la période du début de la Révolution au début des années 20 il y a très peu de films qui sont tournés, la production repartira à partir de 21-22 en fait.
Serge Kornmann : Il y avait une grande production à Odessa et à Kiev, parce que la Révolution navait pas encore atteint ces villes en 1917, ça a duré un peu plus longtemps...
François Martin : Les Russes rouges arrivent vers 1919-1920, assez tard et cela a laissé le temps de tourner des films. Il y a un film mythique quIrène citait tout le temps et que la presse aussi rapporte, cest...
L-Béatrice-MS : Stella Maris...
François Martin : ... qui, semble t-il, est un des plus beaux films de Starewitch de lépoque mais dont il ne reste rien du tout. Khanjonkov en parle dans ses mémoires, Starewitch aussi, Irène en parlait extrêmement fréquemment et il paraîtrait que ce soit un des films que Khanjonkov lui-même emporte en exil donc un film dune grande valeur tourné là dans des conditions difficiles mais perdu actuellement.
Olivier Catherin : mmm, parfois on retrouve des films !
François Martin : Ah oui !
Olivier Catherin : On a retrouvé un John Ford il ny a pas longtemps,
François Martin : un Méliès aussi...
Olivier Catherin : Alors pourquoi pas ?
François Martin : On espère... Le Gosfilmofond est un centre darchives remarquable, de qualité et comme le Gosfilmofond a régné pendant un temps sur une partie immense de lEurope il ne faut pas désespérer de retrouver des documents bien sûr.
Olivier Catherin : Et on a retrouvé des Starewitch, je ne sais pas, depuis 20 ans ou depuis 30 ans ? Des films quon croyait perdus ?
L-Béatrice-MS : Lannée dernière [2002] le Gosfilmofond a prêté au Festival de Laon un film [ Brothers]dans lequel on voit Starewitch pendant quelques secondes, il fait le médecin. Cest amusant parce quà Moscou on avait vu le début du film. Il était minuit moins dix et à minuit, comme tout le monde devait partir pour prendre le dernier métro, le projectionniste a tout arrêté en disant " Je men vais ! ". Nous, nous partions le lendemain à quatre heures ou cinq heures du matin. Alors nous avons pensé quon verrait peut-être la suite en France. Ce nétait pas long, ça durait peut-être un quinzaine de secondes ce quon voulait voir, et finalement on a vu la suite des quinze secondes deux ans après à Laon, alors cétait magnifique.
Olivier Catherin : Jy étais dailleurs !
L-Béatrice-MS : Oui, cétait une grande histoire. Oui, cest vrai que Starewitch, à propos de la politique, cest vrai quil na pas fait la guerre, quil préférait tourner, mais il a tout de même fait des films qui mettaient en avant la paix. Le Lys de Belgique, ce sont vraiment les souffrances de la Belgique et puis il fait aussi de petits films satiriques où on voit les dirigeants qui se déchirent lEurope et cest toujours caustique, et vraiment militant pacifiste.
Olivier Catherin : Comment se situait-il par rapport à la Révolution ?
L-Béatrice-MS : Je ne sais pas !
Olivier Catherin : Vous ne savez pas !
François Martin : La Révolution ! Daprès ce quil dit dans Pamietnik, cétait la perspective de la liberté par rapport au contrôle de ladministration pendant la guerre. Mais cest tout. Cest la fin de cette contrainte de pénurie, déconomie de guerre qui était en Russie comme ailleurs. Mais sur les événements révolutionnaires eux-mêmes, on ne sait pas. A ce moment il a tourné un film qui sappelle LAssemblée constituante qui se situe juste à la fin de lannée 1917, qui est un film pédagogique pour apprendre aux Russes comment ils vont pouvoir procéder pour voter puisque une des premières opérations des Bolcheviks a été de faire élire une Assemblée constituante. Cest un film avec une intrigue de vol, une petite intrigue pour attirer lattention, mais lidée cest dapprendre à voter, tout le monde a le droit de vote, comment on va faire, etc... mais cest un film extrêmement linéaire, extrêmement narratif, où il ny a pas du tout de trucages, il ny a absolument pas le style de Starewitch comme sil prenait une distance. Quand on lui demande, cest un film de commande bien sûr...
Olivier Catherin : mmm,
François Martin : quand on lui demande de développer un discours didactique, pédagogique, politique, là aussi, il ne développe pas son art au maximum, il fait une sorte de service minimum compréhensible par tout le monde, il ne simplique pas vraiment. Dans un premier temps il était très content sans doute des nouvelles perspectives, mais il na pas pris part aux événements du tout. Et de même quand il était en France dans les années 20-30 il na semble t-il jamais fréquenté les communautés russes quelles quelles soient.
Olivier Catherin : Il décide alors daller en France. Alors pourquoi part-il de Crimée pour aller en France ?
François Martin : Parce que les Russes rouges eux-mêmes arrivent en Crimée. Toute la communauté est partie parce quil y avait la famine, les difficultés quotidiennes? Cest largument de Starewitch : les difficultés de la vie quotidienne. Pas de quoi manger, pas de quoi tourner, donc il va voir ailleurs. Ce qui le fait appartenir à un monde privilégié, il y a beaucoup de Russes qui sont restés sur place et qui ont subi les événements suivants. Lui a la chance dappartenir à un secteur de pointe, à un milieu dartistes, et il part. A lépoque, on lui avait promis semble t-il quelque chose en Italie tout dabord. Il était connu, peut-être attendu, donc en Italie un producteur devait le faire tourner et comme cétait un investisseur surtout, au lieu dinvestir dans le cinéma, Irène disait quau dernier moment il a décidé dinvestir dans la fabrique de chapeau, ce qui nest pas la même chose ! Starewitch était en Italie et de là, il est venu jusquen France puisque la communauté russe est allée pour lessentiel ou en Allemagne ou en France, il a poursuivi et il est arrivé à Paris....
Olivier Catherin : Il y retrouvera des gens comme Mosjoukine, Volkoff, ou Protazanov, Tourjanski, des gens comme ça...
François Martin : ... cest comme ça quil retravaille parce quil arrive dans cette communauté russe qui était à Montreuil pour beaucoup, lui sétablit à Joinville-le-Pont dans un premier temps et il retrouve tout de suite une activité de... pas de réalisateur, un peu de second plan, de second rôle, mais de technicien au moins de cameraman. Il a trouvé du travail tout de suite, il a revécu tout de suite dans les milieux du cinéma.
Olivier Catherin : Alors pourquoi, nétait-il pas si proche de ce milieu de Russes exilés ? Très vite il na plus eu de relations ?
L-Béatrice-MS : Je ne dirais pas quil na pas eu de relation parce que dès quil est arrivé à se remettre sur pied financièrement, cest-à-dire dès quil a acheté la maison à Fontenay, en 1924, la maison a été ouverte et tous les gens exilés qui venaient, avaient table, couvert, lit... et il ne repartaient de la maison que quand ils avaient trouvé quelque chose ailleurs. La maison était un lieu de sauvegarde pour tous ceux qui en avaient besoin. Il avait de largent, ça circulait. Les gens venaient. A tel point que quelquun qui sappelait Bogdan Zoubovitch qui est un réalisateur de cinéma aussi, qui a fait des actualités en Amérique, qui est revenu en France filmer la Libération et bien, Zoubovitch était en Lituanie et on lui a dit " Va chez Starewitch, il soccupera de toi ! " Donc il a fait Lituanie-Paris, chez Starewitch où il est resté quelques temps chez lui avant de se remettre en selle.
Olivier Catherin : Alors quand il arrive en France, il travaille un petit peu comme technicien et il va se tourner vers lanimation, cest bien ça, il va retourner vers lanimation ?
François Martin : Tout de suite, tout de suite. Parce que tout en faisant son travail de technicien, dès 1921 il commence à tourner des films danimation. Au début, pas chez lui puisquil navait pas de studio, à Saint-Mandé, puis très vite à Joinville il construit son propre studio et tourne ses propres films. En parallèle tout dabord, puis le succès aidant, à partir de 23-24, il cesse totalement ses collaborations à dautres films, se met à son compte, si on peut dire, et vit uniquement de son travail.
Olivier Catherin : Et là il fait des films en famille, tout seul... Il se coupe un petit peu du milieu du cinéma alors quil était complètement dedans quand il était en Russie.
François Martin : Dedans, oui et non. Parce que cest quelquun qui avait un conception du cinéma extrêmement particulière, originale. On parlait tout à lheure de son goût pour le cinéma américain. Cest quelquun qui aimait le montage, le rythme, les trucages... la tendance du cinéma russe, cest plutôt ce que certains appellent " le cinéma de la lenteur ", on raconte tout, on est très narratif. Lui heurtait un petit peu les réalisateurs, les collègues en quelleque sorte, heurtait un peu les acteurs aussi. En Russie il y avait des acteurs avec lesquels il sentendait bien, avec lesquels il tournait volontiers, des décorateurs, enfin toutes sortes de personnes du milieu du cinéma, mais il y en avait qui étaient très réticentes à travailler avec lui. Il y avait les deux côtés et si on ajoute son tempérament un peu sarcastique, lhumour aux dépens des autres chacun apprécie différemment, lui-même au début des années 20, Irène le disait aussi, nétait pas forcément bien reçu par tout le monde. Donc lintégration dans la communauté russe ? Il a trouvé du travail, oui, mais sépanouir dans cette communauté, pour lui cétait un peu délicat. Il ny aurait pas trouvé tout de suite ce quil souhaitait en tout cas.
Serge Kornmann : Il y avait aussi une méfiance, parce quil y avait des Russes blancs, mais aussi dautres Russes qui étaient du côté soviétique plutôt et on ne pouvait pas les distinguer comme ça à leur visage et il y avait des possibilités denlèvement et carrément des complications dordre politique et lun ou lautre a souffert de ces complications et a été enlevé en disparaissant en Russie sans laisser de traces...
François Martin : ... et des doutes aussi parce quil y a des Russes qui ont immigré à Paris et qui sont retournés finalement ... les situations nétaient pas acquises, pas stables...
Serge Kornmann : ... et puis il y avait aussi cette idée que la Révolution ne durerait pas longtemps, que le régime sécroulerait, en 1928-30 au plus tard...
Olivier Catherin : ... mmm...,
Serge Kornmann : ...et que les vrais Russes retourneraient en Russie...
François Martin : ... cest une grande période dincertitude, quand même.
Olivier Catherin : Il fait des films de marionnettes, cela reste surprenant ! Il a fait des courts métrages, des films faisant dix minutes, un peu plus parfois...
L-Béatrice-MS : ... dix à vingt minutes, trente...
Olivier Catherin : Oui, aujourdhui ces films là ne rencontrent pas forcément un succès énorme, sauf exception. A lépoque apparemment, cest quelque chose qui lui rapporte de largent, le public voit ses films, il est connu...
L-Béatrice-MS : En 1925, La Voix du rossignol obtient la médaille dor aux Etats-Unis, parce que ses films sont distribués dans le monde entier, il est connu partout...
Olivier Catherin : ... donc il vit bien !
L-Béatrice-MS : Ah il vit bien, oui, ce qui lui permet daider les autres parce que cest quelquun dextrêmement généreux même sil reste chez lui, cest ouvert. Par contre toute sa carrière est ponctuée de prix par exemple La Voix du Rossignol, Fleur de fougère en 1949 aussi. Il y a toute une série de ... il a toujours été attendu, ses films étaient attendus, de façon extraordinaire, parce que chacun se demandait ce quil allait créer de nouveau, quel monde imaginaire et comment allait t-il le tourner ?
François Martin : Et les programmes de cinéma étaient beaucoup plus copieux que maintenant. Un programme de cinéma, cétait le grand film, des courts métrages, des attractions... donc dans tous les programmes, un ou deux courts métrages avaient leur place et cest comme ça que ses films ont été diffusés, on avait besoin de films de courts métrages à lépoque. Mais il y a aussi des gens... on a rencontré au début des années 1990 un monsieur qui sappelait Pierre Kuhn, qui est décédé aussi, mais qui se rappelait que dans les années 20 ses parents attendaient justement ces programmes et allaient voir certains programmes pour les films de Starewitch ! Au sein de ces grands films de programme dont on voit les affiches des grands réalisateurs, certains attendaient ces films de Starewitch et allaient les voir. Et pour lui cétait aussi un succès, puisquil a très bien vécu, il a acheté sa maison, il y a des témoignages, pas comptables mais par son mode de vie...
L-Béatrice-MS : ... première voiture de lavenue Foch, premier téléphone... ça compte... ça montre un style de vie.
François Martin : Mais cela a généré aussi une frustration parce quil avait un grand succès et il était connu et attendu, mais il ne voyait jamais son nom sur les affiches, puisque que les affiches étaient faites sur le film du programme...
Olivier Catherin : ... sur le long métrage...
François Martin : ... une des motivations pour passer au long métrage, quand il en parle avec Louis Nalpas à la fin des années 20, est davoir son nom justement en haut de laffiche et on retrouve cette idée de notoriété, de reconnaissance, sur les mur de Paris. Cest ce quil aura avec Le Roman de Renard, même si cela ne tombe pas à la bonne époque.
Olivier Catherin : Cest une technique très particulière, cest de lanimation de marionnettes, de marionnettes qui ne sont pas des marionnettes de bois comme Trnka, mais des marionnettes qui sont très expressives...
L-Béatrice-MS : Cest la ciné-marionnette !
Olivier Catherin : ... ciné-marionnette ! Alors, quest ce que cest la ciné-marionnette, Béatrice ?
L-Béatrice-MS : Ah, la ciné-marionnette quest-ce que cest ? Cest une ciné-marionnette conçue par Starewitch et qui est toujours faite sur le même principe : il y a une carcasse à charnières articulées, elle est recouverte dune matière plastique, cest-à-dire quon va pouvoir modeler, et le corps est fait de telle façon quil peut prendre diverses positions et la garder afin de pouvoir être animé image par image. La figure est ensuite habillée, maquillée selon le rôle et elle est prête à jouer. Ce qui est caractéristique chez Starewitch, est lutilisation de la peau de chamois, elle était collée, mouillée sur la structure sculptée de lossature et quand elle séchait en se rétrécissant, elle adhérait vraiment totalement et cela donnait lillusion de la vraie peau. Dans un film comme Les Yeux du dragon où le prince et la princesse sont en peau de chamois et ont un visage oriental, la peau de chamois se prête extrêmement bien et leur prête une vie extraordinaire. Voilà, ça, cest la ciné-marionnette.
Olivier Catherin : Alors il met en scène des animaux essentiellement. Parfois il y a des personnages humains qui apparaissent dans les films, mais essentiellement, cest de la mise en scène danimaux !
L-Béatrice-MS : Ca dépend, il y a de tout quand même. Si on prend par exemple La Petite Chanteuse des rues, un des trois courts métrages qui constituent Les Contes de lhorloge magique, cest vrai que cest un animal qui va être en ciné-marionnette, cest le singe, le singe et le serpent. Mais cest vrai aussi quil mélange les prises de vues réelles,
Olivier Catherin : Oui,
L-Béatrice-MS : ... Nina, Nina Star ! " Star " comme star américaine ou bien Star de Starewitch ? Voilà, donc Nina Star qui joue dans le film en petite fille...
Olivier Catherin : ... donc Nina qui est une de ses deux filles. Nina qui fait lactrice...
L-Béatrice-MS : ... en France...
Olivier Catherin : ... La Star !
L-Béatrice-MS : ... Nina fait lactrice en France mais Irène faisait lactrice en Russie, par exemple dans Le Lys de Belgique,
Olivier Catherin : ... et ensuite elle devient sa plus proche collaboratrice...
L-Béatrice-MS : ... son unique collaboratrice... Donc Nina dans La Petite Chanteuse des rues a un singe vivant et il est difficile dans le film de savoir quand la marionnette joue et quand le singe joue. Donc, cest vrai quil a beaucoup illustré La Fontaine avec tous les animaux de la nature possibles et imaginables, les animaux sous leau, terrestres et les animaux aériens également sans compter tous ceux que Starewitch créait lui-même. Par exemple pour son projet La Création du monde il y a des animaux extraordinaires qui nexistaient pas et à cet égard il y a de nombreux films danticipation qui montrent que Starewitch était très connu. Et quon connaissait ses créations imaginaires. Donc, il a utilisé beaucoup les animaux, mais également les jouets, il a créé... il a tout animé, pas seulement les animaux, mais cest vrai quil leur fait jouer la comédie humaine de façon grinçante ou poignante mais toujours de façon poétique et généreuse.
Olivier Catherin : Oui la plupart du temps, on peut dire quil montre les moeurs de ses contemporains souvent avec un certain humour, beaucoup dhumour, beaucoup de dynamisme, ça on la évoqué, cest ce qui était très nouveau notamment dans le cinéma russe, mais même par rapport au cinéma français des années 20, il y a un dynamisme qui fait que les films sont toujours très plaisants à voir. Il y a vraiment une vivacité, un dynamisme et un humour qui restent toujours assez frappants aujourdhui.
L-Béatrice-MS : Oui, ce nest absolument pas démodé et ce qui est amusant cest quil y a un film qui sappelle LHorloge magique un des trois courts métrages qui constituent Les Contes de lhorloge magique et le texte qui a été créé autour reprend le texte des cartons pour LHorloge magique et il y a des termes... " Ils se sont tous fait descendre " par exemple, cétait écrit en 1928, ce nest pas daujourdhui.
François Martin : Cest aussi une des questions qui a orienté un peu le livre aussi, savoir comment Starewitch à travers le XXème siècle pouvait avoir développé une oeuvre aussi constante, aussi optimiste, aussi bienveillante, aussi drôle, enfin tous les aspects quon connaît, poétique... sans aucune allusion à tous les événements quil a traversés. Il y a une constante absolument extraordinaire, les événements mondiaux, la Révolution, les guerres, etc... mais aussi les événements personnels, quand sa femme décède en 56, les deux films quil fait après sont dune poésie, dune légèreté extraordinaires, impossible dimaginer quil a perdu lépouse avec laquelle il a vécu pendant 50 ans à peu près. Il y a une volonté unique, vraiment particulière et difficile à expliquer.
Olivier Catherin : Les références sont plutôt au cinéma de son époque finalement. Dans Les Griffes de laraignée, on sent vraiment le pastiche du mélo des années 20, du muet très nettement.
François Martin : Dans les Griffes de laraignée est peut-être un film qui évoque cette lenteur russe, cest-à-dire, cest un film très lent, très beau, une histoire dadultère, une histoire un peu dantichambre, très beau, très lent et qui évoque un peu cette lenteur russe...
Olivier Catherin : Oui, mais cest plein de péripéties quand même,
François Martin : ...plein de péripéties, de rebondissements... de rythme aussi, mais ça évoque aussi un peu la nostalgie dune époque.
Olivier Catherin : Est-ce quil a vraiment eu si peu de relations avec le reste du monde de lanimation ? On a un peu limpression en lisant le livre quil a eu très peu de contacts, à part Zoubovitch et quelques petites choses ponctuelles comme ça...
L-Béatrice-MS : Moi je pense, en effet, que chacun travaillait de son côté, savait ce que lautre faisait mais que les contacts nétaient certainement pas très fréquents. Mais, vous savez, il travaillait énormément de 8 heures du matin jusquau soir et tous les jours et il partait en repérage en vacances, ce qui lui permettait de filmer des décors, des fonds de décors comme pour LHorloge magique. Il travaillait énormément, il navait pas tellement le temps.
Olivier Catherin : Oui, dailleurs il a réalisé beaucoup, beaucoup de films, à un rythme étonnant...
L-Béatrice-MS : Il a réalisé une centaine de films entre la Russie et la France...
François Martin : ... en lespace de cinquante ans... On na pas de traces de ces contacts... Un des premiers souvenirs que jai quand on est allé à Annecy, pour la première fois, en 1973 juste après le Festival, on a croisé dans la rue Alexandre Alexeïeff, dont il nest jamais fait mention dans les papiers de Starewitch Quand il a su que Béatrice était la petite fille de Starewitch, il la prise dans ses bras en disant " Ah, je suis content de serrer dans mes bras la petite fille de Starewitch ! " Ces deux personnages qui ont eu des vies très parallèles finalement, ils ont vingt ans de différence...
Olivier Catherin : ... ils ont les mêmes origines...
François Martin : ... venus en France, etc... mais il ny a pas de relations extrêmement étroites et pourtant Alexeïeff connaissait Starewitch, je ne sais pas de quelle façon, lappréciait et était tout content den voir une trace, si on peut dire... une mémoire...
Olivier Catherin : Donc il connaissait lhomme au moins, ils sétaient rencontrés...
François Martin : ou au moins la notoriété...
L-Béatrice-MS : ... on peut dire autre chose à propos du premier film de Paul Grimault. Grimault nous a dit quil était allé acheter une caméra boulevard Beaumarchais pour faire son premier film danimation et le vendeur lui a dit " Oh, vous tombez bien, Starewitch sort dici, il a vendu sa caméra car il prend toujours le matériel le plus à la pointe ! " et Grimault a acheté la caméra de Starewitch pour son premier film danimation.
Olivier Catherin : Mais on ne sait pas si Grimault a rencontré un jour Starewitch.
François Martin : Il ne la pas rencontré ! Nous avons rencontré Grimault à la fin des années 1980, il a dit quil ne lavait pas rencontré.
Olivier Catherin : Ca, cest étonnant quand même, enfin moi ça me surprend en tout cas !
L-Béatrice-MS : Moi ça ne me surprend pas parce que cest un travail tellement... Maintenant les jeunes, comme à la Poudrière travaillent ensemble, se côtoient, il peuvent voir les films des uns et des autres. Autrefois ce nétait pas si facile que ça. Moi je nai jamais vu les films quand jétais petite, jamais parce quils étaient sur nitrate dabord, donc interdits de projection et quand la télévision a acheté Le Roman de Renard dans les années 1970, cest la seule fois où je lai vu. Après il a fallu que je restaure les nitrates pour pouvoir voir les films de Starewitch.
Serge Kornmann : Quand on voyait, dans les années 50, un film de Starewitch, on avait limpression, fallacieuse, de voir des peluches, des vraies, animées sans cette fantaisie quon connaissait alors dans lanimation. Il y a eu aussi cet aspect, dès quun artiste vieillit, il perd un peu son public, dautant plus que là il avait besoin du public enfantin. Cétait considéré comme, les films des années 50, comme ça un peu pour les enfants chez Sonika Bo dans son club Cendrillon. On ne connaissait pas vraiment loeuvre de Starewitch à ce moment là, surtout pas, et cest ça qui a fait du tort selon moi, vous me contredirez si ce nest pas le cas, son chef-doeuvre Le Roman de Renard, le seul qui aurait en 1945-46 pu attirer lattention si il ny avait pas eu déjà cette avalanche américaine de longs métrages en couleurs qui déjà évidemment... ça cest limpression que javais. Parce que jai attendu ce Roman de Renard pendant 25 ans, je peux dire. A partir de 1950 seulement je savais quil existait. Javais vu des photos chez le Lo Duca, qui étaient appétissantes au diable. Et jai toujours dit " Cest scandaleux quon ne puisse pas voir ce film ! " et puis là ça sarrêtait parce quon ne le voyait pas. Et après quand finalement il est sorti dans une copie assez quelconque, la première, des Archives du film, je crois, celle qui était un peu grise, cela na pas tellement attiré les gens. Et jai entendu dire des artistes de lAFCA qui venaient aux réunions " Oui, cest historique ! " et moi je disais, " Ah ça, cest un chef-doeuvre, il ne faut pas le manquer, extraordinaire !... " Moi jétais absolument, même en 90 quand cette version est sortie, jétais transporté de joie, jétais épaté par le jeu dacteurs, par la façon dont cest fait, la première fois surtout quand on voit ce film ! Extraordinaire ! Après quand on le voit 25 fois, bon, on shabitue un petit peu.
L-Béatrice-MS : Cest vrai que Le Roman de Renard est un film extraordinaire. Cest vrai quen France sa distribution a été très, très compromise par le fait que le producteur avait tablé sur le disque pour la sonorisation et que le disque a fait faillite...
Olivier Catherin : ... juste je voudrais repréciser les choses, Le Roman de Renard est un film réalisé au moment du muet à la fin des années 20...
L-Béatrice-MS : ... non, il est réalisé en 29-30 et il est réalisé pour être sonore...
Olivier Catherin : ... il existe en muet et le problème va être la sonorisation justement...
L-Béatrice-MS : ... non, non, pas du tout...
Olivier Catherin : ... il est conçu pour être sonore...
L-Béatrice-MS : ... il est conçu pour être sonore, seulement il fallait choisir le mode de sonorisation, mais toutes les bouches, tout est conçu pour parler. A tel point que deux négatifs ont été tournés, lun pour la France, lautre pour la U.F.A., et Le Roman de Renard allemand a tout de suite eu un grand succès. Et régulièrement du temps où on ne pouvait pas le voir en France, régulièrement les Allemands nous demandaient lautorisation de le projeter en Allemagne à la télévision, pour des jeux, ou pour le montrer. Il a eu une carrière sabotée...
Serge Kornmann : ... cest le mot...
L-Béatrice-MS : ... en France, mais une très belle carrière en Allemagne...
Olivier Catherin : ... pour des raisons techniques alors ?
L-Béatrice-MS : Le Roman de Renard est resté dix ans au placard parce que Nalpas a fait faillite...
Olivier Catherin : ... le producteur du film...
L-Béatrice-MS : ... oui, il était bien contrarié de ruiner Starewitch et au bout de 4 ans Starewitch a récupéré ses droits et avec Richebé, il a fait une nouvelle bande son, un film de 65 minutes en tournant des scènes de raccord, cétait près de dix ans après, et même à ce moment [sortie en février 1941] la distribution na pas été extraordinaire. Cest maintenant que Le Roman de Renard rapporte le plus. Ce quil faut savoir aussi, cest que... on a sorti donc Les Contes de lhorloge magique qui est un petit bijou. Cest un petit bijou tellement joli que je me suis dit que les gens allaient sûrement revoir Le Roman de Renard alors jai fait les mêmes choses sur Le Roman de Renard quon a fait pour Les Contes de lhorloge magique, cest-à-dire la stabilisation de plans et le confort de loeil est totalement différent, cest extraordinaire, cest un nouveau film. Les techniques modernes sont extraordinaires et Le Roman de Renard quon peut voir en salle, cest un petit bijou, il faut y aller !
François Martin : Nous, on ne sest pas habitués, on la redécouvert, il y a quinze jours dans un cinéma du Quartier latin...
L-Béatrice-MS : Ah, oui... absolument !
François Martin : A ce que vous disiez des années 50, je crois que cest tout à fait juste, on pourrait ajouter la nouvelle génération des animateurs qui naît à la fin des années 50 et au début des années 60. Cest une nouvelle génération totalement différente à tous points de vue, qui veut plus de sarcasmes, dhumour, de critiques... et ce sont les années 60..., et Starewitch paraît encore plus vieillot, encore plus décalé parce que les films quil fait dans les années 50, sont des films liés à Sonika Bo, qui passent dans son club Cendrillon et cest ce que tout ce que cette génération rejette, tout ce quon appelle les " films Sonika Bo " est rejeté à lépoque et Starewitch est assimilé à ce genre de cinéma quand les films de lentre-deux-guerres ont disparu des écrans.
Serge Kornmann : Cest normal chez les artistes, il y a une période où des jeunes veulent prendre la relève, les goûts changent et puis tout à coup on redécouvre et cest ça qui montre la force de lartiste, on redécouvre et on dit " Comment ai-je pu ignorer ça, cest formidable ! " et on a une satisfaction de lavoir défendu à ce moment là.
L-Béatrice-MS : Mais vous savez, le studio de Starewitch était ouvert à tous les animateurs, cest-à-dire que, quand je vous ai dit tout à lheure que petite, avec Starewitch, je faisais mes devoirs au fond du studio, les gens défilaient pour le voir travailler. Et que ce soit le curé, le médecin ou que ce soient dautres animateurs japonais ou des pays slaves, ils venaient et ils regardaient Starewitch travailler. Il était très disponible pour les autres, pour lenseignement, mais les gens venaient à lui.
Serge Kornmann : Donc il a eu des disciples on peut dire. En Pologne par exemple ? Parce que cétait lépoque, en 1948, quand le film de poupée animée dEtat a commencé...
L-Béatrice-MS : Je pense que ces gens là sont venus à la maison... Les Japonais étaient amusants, je lai peut-être déjà dit, ils étaient amusants parce quils venaient, ils filmaient toute la journée et revenaient le lendemain en disant " On a développé, où est le secret ? ". Alors ils recommençaient, ils filmaient toute la journée Starewitch au travail, ils redéveloppaient et revenaient en disant " Mais où est le secret ? ", comme ça pendant une semaine. Mais il ny a pas de secret ! Tout simplement le temps ! Le temps et le génie, bien évidemment. Ca cétait amusant les Japonais...
Serge Kornmann : ... et le tour de main, tout de même !
L-Béatrice-MS : Moi je dirais le tour de lâme.
Serge Kornmann : Oui... surtout !
Olivier Catherin : Les années 30 seront plus difficiles quand même...
François Martin : ... ce qui change cest la technique surtout, le son. Starewitch produisait ses films tout seul, dans les années 20. Il réalisait ses films et ensuite, il les vendaient et si on évoque le début, il ne les vendait pas dans lordre de la réalisation. Il y a une sorte damateurisme, je ne sais quoi, il nest pas très rigoureux, ce nest pas un exploitant de sa propre oeuvre vraiment très, très efficace. Il fait une deuxième rencontre, on citait Khanjonkov tout à lheure, qui est celle de Louis Nalpas. Louis Nalpas est quelquun qui adore les films de Starewitch dans les années 20 et qui va produire les derniers films muets. Starewitch a un producteur : LHorloge magique et La Petite Parade sont des moyens métrages, vingt à trente minutes à peu près. Starewitch a un producteur, une sécurité dans son travail, ce qui pousse les deux hommes à se lancer, comme un défi extraordinaire dimaginer un long métrage danimation sonore en 1929 au moment où les techniques du son, on lévoquait, ne sont pas encore bien décidées. Nalpas ne fait pas derreur, quand il parle du disque, tout le monde parlait du disque, simplement tout le monde sest un peu trompé et en quelques semaines, en quelques mois, on change de technique. Cest ça qui a créé des difficultés. Mais bon, Le Roman de Renard a du mal à sortir, finalement il est sorti, peut-être pas comme Starewitch le voulait puisque que Roger Richebé, cétait un des aspects du contrat, pouvait modifier des plans, modifier le montage, ce qui fait quil y a des différences appréciables entre la version française et la version allemande. Mais les difficultés du Roman de Renard ont poussé Starewitch à faire des films entre temps pour vivre. Ce qui donne deux chefs-doeuvre aussi, Les Deux Lions, les deux fables de La Fontaine, quil produit lui-même. Il retrouve son rythme, il les produit, il les vend, il ny a jamais eu de problème pour ces films qui nont été pas été tellement exploités dans les années 30...
Olivier Catherin : ... Le Lion et le moucheron et Le Lion devenu vieux...
François Martin : ... voilà... Le Lion et le moucheron et Le Lion devenu vieux, deux scénarios de La Fontaine où il reprend les marionnettes du Roman de Renard et ensuite, il y a ce qui sans doute était un projet énorme auquel il tenait, cest la série Fétiche qui aurait pu commencer en 33.
Olivier Catherin : Lidée est vraiment de faire une série.
François Martin : Lidée... Starewitch fait un film dans un format très curieux, le Fétiche quon voit à lheure actuelle, Fétiche Mascotte, doit faire à peu près vingt minutes mais la version originale faisait moitié plus, plus de trente minutes, cest un film très difficile à placer ce qui montre quil navait pas en tête les formats de lépoque, ou pas la volonté de sy plier. Il faisait son film et ensuite il essayait de le vendre et de le diffuser. Il produit lui-même le premier, ensuite, il trouve un personnage, Marc Gelbart, avec lequel il signe un contrat. Un contrat dune ambition extraordinaire parce que les images du Roman de Renard ont été tournées vraiment en 18 mois, confection des marionnettes, réalisation du film, la bande image seulement, en 18 mois. Avec Fétiche, il sengageait à faire une série de courts métrages de 250 à 300 mètres à un rythme qui signifiait quil tournait moitié plus dimages dans le même temps. Cest un rythme de travail encore plus important. Donc il y avait tout un contrat, on devait lui fournir les scénarios... cétait lidée dune série. De faire une série à une époque où il était à lapogée vraiment de sa carrière, il était extrêmement connu, aux Etats-Unis les premières séries avaient commencé, et dans la presse on le comparait un petit peu, le personnage de Fétiche, à Mickey, à dautres... il était promis à un avenir extraordinaire sans doute... mais ça a capoté...
Olivier Catherin : Mais ça a capoté !
François Martin : Ca a capoté parce que le producteur navait pas les moyens financiers, ou avait dès le début lintention de tirer le plus dargent sans vraiment réaliser les films. Ce qui sest passé concrètement, cest que le producteur devait financer bien sûr Starewitch. Le producteur, Marc Gelbart, a vendu en même temps la série qui nétait pas encore tournée à un distributeur britannique. Le distributeur donnait largent au producteur, qui reversait partiellement largent à Starewitch, et très vite Starewitch ne recevait pas les scénarios, ne recevait pas largent, bon... jusquau moment où Starewitch lui-même est allé à Londres pour rencontrer Monsieur Fields, le distributeur britannique. Ils se sont rendu compte de lentourloupe. Finalement il y a eu cinq Fétiche tournés, cinq bandes images, quatre ont été sonorisées et le dernier, Fétiche chez les sirènes, nest toujours pas sonorisé. La série sest achevée comme ça en 1937.
Serge Kornmann : Ca se rattrape pour la sonorisation avec les moyens que nous avons aujourdhui...
François Martin : Il ny a pas de bande son...
Serge Kornmann : ... il ny a rien...
François Martin : ... il faudrait lécrire. Alors que les bandes son des années 30 sont vraiment originales et intéressantes. Les bandes son des années 50, on peut les apprécier diversement, mais la sonorisation des Fétiche est vraiment remarquable, on pourrait certainement faire autre chose mais cette sonorisation est vraiment bien. Autre témoignage du succès de Starewitch : quand le son arrive il fait sonoriser des films muets des années 20.
Olivier Catherin : Oui.
François Martin : Il a repris Le Rat des villes et le rat des champs, qui était sorti muet, il la fait sonoriser. Il y avait des projets qui portaient sur Les Grenouilles qui demandent un roi, sur dautres films. Il avait un fonds muet quil était question de sonoriser pour le sortir encore dans les années 30.
L-Béatrice-MS : Il existe une bande son des Yeux du dragon, elle est très, très abîmée et on doit voir si on peut la sauver. Tous les films muets devaient être sonorisés. Et Tzipine était un musicien superbe.
Serge Kornmann : Tzipine, oui.
L-Béatrice-MS : Lévine aussi, vraiment très bien...
Serge Kornmann : ... un bon musicien...
Olivier Catherin : Alors, il aurait réalisé un peu de publicité pour gagner sa vie parce que les années 30 sont un peu plus dures, et le passage des années 40 aussi. Il y a un projet de long métrage aussi Le Songe dune nuit dété daprès Shakespeare...
François Martin : ... beaucoup de projets de long métrage La Création du monde au début des années 30. Pour les années 30, il faut prendre en compte les films quil a réalisés, qui sont un travail considérable, et le nombre de projets également quil a conçus... il avait une volonté de travail, une capacité de travail inimaginables. Certains ne sont pas réalisés. Les films publicitaires, cest un peu une énigme, parce que nous avons vu que dans nombre douvrages on évoque parfois jusquà des centaines de films publicitaires...
Olivier Catherin : Oui, ça a lair assez approximatif...
François Martin : On na rien du tout de tout ça. Il y a quelques projets de la fin des années 30 quand il ne peut plus faire ses propres films de création, il rédige des scénarios quil envoie à droite, à gauche. Il en a peut-être fait un. Il y a des marionnettes dun film qui sappelle Un Oeuf et le reporter... non, il ny a pas de films...
L-Béatrice-MS : Il y a six minutes dUn oeuf et le reporter...
François Martin : ... six minutes dun film inachevé... Mais comment faire des films de publicité dans la France occupée, cest quand même une petite énigme..
Olivier Catherin : Oui, et les diffuser, oui, effectivement ce nest pas évident...
François Martin : La promotion du rutabaga !
Olivier Catherin : Et le projet Le Songe dune nuit dété ?
François Martin : Cest son grand projet daprès-guerre ! La Création du monde est un projet auquel il tenait particulièrement. Le Songe dune nuit dété, son projet daprès-guerre, cest pareil ! Il commence à travailler lui-même, il existe des marionnettes, il existe un scénario, il trouve un producteur, cest une société qui se crée à lépoque, Irène est même salariée de la société pendant un temps, puis les premiers chèques sont en bois, les suivants aussi... Il arrête très vite.
Olivier Catherin : Alors ma grande question est : " A t-il vu les films de Trnka quelques années après ? "
François Martin : Je ne peux pas répondre.
Olivier Catherin : Vous ne savez pas...
François Martin : Est-ce que les films de Trnka était même diffusés en France à lépoque ?
Serge Kornmann : Très peu, très peu. Il y a eu Le Rossignol de lempereur de Chine, cétait ça la traduction et Cocteau qui en ce moment a une exposition au Centre Pompidou en a fait un préambule et ça cétait cité parce que quand Cocteau disait " Ca, cest un film que je soutiens. " le tout Paris était censé venir applaudir. Ce film est sorti, mais le reste, moins. Ce sont des ciné-clubs qui ont acheté LAnnée tchèque, ou des choses comme ça pour lexploiter en 16 mm...
Olivier Catherin : Le Prince Bayaya ?
Serge Kornmann : Très peu, très peu, pas vraiment de sortie. Les ciné-clubs ont acheté des copies, cest-à-dire un négatif en 16. Certains lont exploité mais pas généralement, cétait des films pour les enfants à ce moment. Et en France le film pour enfant nétait pas très développé, ça a changé. LAngleterre faisait un effort en produisant des films spéciaux, souvent en vues réelles. La France, non, on nétait pas pour ça, pour que les enfants aillent au cinéma.
L-Béatrice-MS : Cest Sonika Bo qui a voulu...
Serge Kornmann : Oui, déjà son club Cendrillon avant la guerre, chez les enfants bien élevés, avait sa cinémathèque. Cétait une oeuvre damour. Mais autrement, ça cétait dans son propre ciné-club, mais ailleurs comme ça, des séances pour enfants cétait Laurel et Hardy, cétait des films daventure, des westerns mais pas Le Prince Bayaya, pas ces choses là, ils ne connaissaient pas comme exploitation générale, pas plus que Le Roman de Renard dailleurs, pourquoi a t-on mis autant de temps ?
François Martin : Il était diffusé au début des années 1950 au moins en Tunisie...
Serge Kornmann : ... en Tunisie, oui, mais en France ?
François Martin : ... en France métropolitaine je ne sais pas... [A partir doctobre 1956, Le Roman de Renard a été diffusé en sept parties par la télévision française.]
Serge Kornmann : ... je ne peux pas dire que je connais tout, mais quand on voyait Paris, jétais au courant, parce que javais les journaux, javais tout ce quil fallait... Je peux dire non.
Olivier Catherin : On peut parler un peu des Contes de lhorloge magique ? Alors quels sont les films qui composent le programme ?
L-Béatrice-MS : Il sagit de trois films réalisés entre 1924 et 1928. Le premier sappelle La Petite chanteuse des rues, le deuxième La Petite Parade et le troisième LHorloge magique. Le lien entre les trois courts métrages est Nina Star, Nina a 11 ans dans le premier, quinze ans dans le second et 16 ans dans le troisième. On suit les aventures de cette petite fille. Il fallait vraiment oser faire ce projet, monter le film parce que la réalisation finale donne un film totalement différent. Et pourtant cest du Starewitch. Lidée est née des ciné-concerts organisés par le Forum des images, on projetait des films avec Jean-Marie Sénia comme accompagnateur et, en fait, créateur de musique. Les gens en redemandaient et le Forum des images, Gebeka et moi-même avons décidé de faire une co-production à partir des trois films. Nous avons enlevé les intertitres, un texte a été créé qui est narré de façon extraordinaire par Rufus, dont la voix se prête à tout ce quil faut exprimer à travers les marionnettes, et la musique a été composée par Jean-Marie Sénia. Ca fait à peu près 12-13 ans que je connais Jean-Marie et cest le fils musicien spirituel de Starewitch, il y a une osmose dans la façon dont Jean-Marie illustre les films qui est extraordinaire. On le sent ! Il a aboli les distances, il a aboli le temps, on sent vraiment que tous deux auraient pu travailler ensemble en parfaite harmonie. Pour LHorloge magique, une musique avait été créée par Paul Dessau, compositeur allemand, et finalement je ne la regrette pas. Jai toujours essayé de restaurer les films à loriginal mais cette musique créée par Jean-Marie est extraordinaire, elle est interprétée aussi de façon magistrale. Il y a la musique, il y a les textes dits par Rufus, et puis, il y a les séquences additionnelles. Ce qui est intéressant cest que Jean Rubak, qui est un réalisateur danimation, (je le connaissais avant quil ne travaille pour ce projet pour Les Noces de Viardot, jaimais beaucoup son graphisme, sa spiritualité et son rythme...) a observé les marionnettes de Starewitch. Il a observé les photos, il sest imprégné du film, des différents films et il a créé des séquences additionnelles totalement différentes, pas " à la manière de ", mais qui rentrent " dans le monde de ", et le lien cest lhorloge puisquà chaque coup de lhorloge une nouvelle histoire arrive à la petite Nina. La direction artistique est de Xavier Kawa-Topor, du Forum des images.
Serge Kornmann : A t-il animé en volume cette fois ci, ou bien ?
Olivier Catherin : Jean Rubak ?
L-Béatrice-MS : Non, cest de la peinture.
Olivier Catherin : Et le programme sort le 10 décembre ?
L-Béatrice-MS : Oui, le programme sort le 10 décembre.
Olivier Catherin : Donc très bientôt.
L-Béatrice-MS : Ca sappelle Les Contes de lhorloge magique de Ladislas Starewitch.
Olivier Catherin : Pour les grands et pour les petits...
L-Béatrice-MS : ... oui, et je pense que si les grands-parents ont vu les films autrefois, sils emmènent leurs petits enfants maintenant ce sera un lien très étroit parce quils auront vu le même film, tout en nétant pas le même film, et il pourront avoir un dialogue qui va être un lien. Pour moi cest vraiment un truchement entre les générations ce film. Il est en couleurs évidemment puisque les films des années 20 étaient en virages...
Olivier Catherin : mmm...
L-Béatrice-MS : ... virages couleurs, tout cela a été respecté. Tout a été respecté pour que ce soient les oeuvres de Starewitch auxquelles on na rien apporté de plus ou de moins sauf un lien étroit.
Olivier Catherin : Très bien. On va peut-être faire une nouvelle pose musicale, on a beaucoup parlé là ! Donc on écoute Bob Dylan ?
François Martin : Mozambique !
Olivier Catherin : Mozambique ! Pourquoi Bob Dylan ?
François Martin : Une chanson très starewitchienne de Bob Dylan.
Olivier Catherin : Ah bon, en quoi ?
François Martin : Cest une chanson très, très légère, vous allez entendre ! ... qui date du début des années 70 au moment où le Mozambique achève sa guerre dindépendance, donc on retrouve le même décalage entre cette chanson légère et la situation du Mozambique, quentre loeuvre de Starewitch et le XXème siècle.
Olivier Catherin : Très bien, on écoute Mozambique de Bob Dylan.
Serge Kornmann, Olivier Catherin et Béatrice dans le studio.
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FIN de la partie de lémission consacrée à Ladislas Starewitch.
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