Dans son livre : L’imaginaire
médiéval dans le cinéma occidental, Honoré
Champion, 2004, 1280 pages, François de
Nous reproduisons ci-dessous les passages du livre de François de la Bretèque concernant le film de Ladislas Starewitch en les accompagnant, à la fin (en italiques), de notre commentaire :
Premier extrait :
Chapitre 3 : Poétique de l’anachronisme (pages 43-90).
4.2 - Prochronismes : injection d’éléments d’époque contemporaine dans un récit du Moyen Âge.
[…]
« Dans Le Roman de Renard de Starevitch, la scène du combat entre Renart et Isengrin, qui existe dans les textes originaux, est présentée comme une épreuve sportive. Elle est commentée par le singe, qui, pour l’occasion, est transformé en reporter radiophonique, armé d’un micro, et qui décrit pour ses auditeurs les phases d’un combat dans la rhétorique convenue et ampoulée du reportage sportif. La transformation du style a une fonction « dégradante » de la forme originale (relative, puisque les antagonistes ne sont que des héros animaux), mais l’anachronisme a une finalité avant tout satirique. Parler d’un duel, même entre Renart et Isengrin, en langage de radio, c’est faire rire de la radio autant que de la coutume médiévale du combat judiciaire. (C’est aussi faire rire des souvenirs scolaires comme dans le Virgile travesti). Ici on a un bon exemple de prochronisme du premier type. » (pages 77-78)
*****
Deuxième extrait :
Chapitre 17 : Le « contre texte » et son héros : Renart. Un rendez-vous manqué avec le cinéma d’animation (pages 501-510).
1 - Le cinéma d’animation : une fatale infantilisation ?
[…] F.
de
2 - La réussite qui fait exception : Le Roman de Renard (1937) de Ladislas Starevitch.
« Ce qui, chez Disney, résistait le plus à la réussite de l’entreprise d’adaptation était son fameux anthropomorphisme. Il n’y a plus aucune ambiguïté, aucun mystère : autant employer des acteurs humains… A l’inverse, ce qui prédisposait Starevitch à réussir l’entreprise d’adapter le Roman de Renart, c’est son passé de réalisateur de films naturalistes. Il tournait à l’origine avec de vrais animaux (des insectes) naturalisés.
L’entreprise de Starevitch est singulière à bien des égards. D’abord par ses conditions de production. Ce film est une entreprise familiale, le réalisateur a tout fait lui-même avec l’aide de sa femme et de sa fille. Il n’y a que le son qui lui a échappé : le film, à son origine, était prévu muet. La lenteur de son élaboration est un deuxième trait distinctif, puisqu’elle s’est étalée de 1926 à 1930 pour la partie visuelle, et jusqu’en 1941 pour la partie sonore. Enfin, l’isolement de son créateur, polonais de Russie exilé en France, fait qu’il reste proche de sa culture d’origine tout en ayant assimilé celle de son pays d’accueil. Cette tension entre deux cultures est une des clés de la réussite du film.
Le procédé employé repose sur l’utilisation de poupées (improprement appelées marionnettes) que l’on anime plan par plan. Il en utilisa de trois formats, selon qu’il voulait insérer ses personnages dans un ensemble, ou les voir en groupe, ou enfin, les filmer en gros plan. Les personnages sont en fil de plomb habillé de coton, cuir, peau, fourrure. Ils restituent donc une « chair » animale, à mi chemin du vivant et de l’inanimé, de l’animal et de l’humain. Ce procédé et le peudo-mouvement qu’implique la technique de prise de vue conduisent à la nécessaire ambiguïté du monde renardien, dans lequel les animaux ne sont pas tout à fait des animaux « vrais », mais pas non plus des humains déguisés.
Pour son scénario, Starevitch et sa femme ont amalgamé et remanié plusieurs traditions textuelles, s’inspirant principalement du Reineke Fuchs de Goethe. Les premiers méfaits de Renart conduisent à un premier procès où sont racontées diverses versions contradictoires des mêmes avanies subies par ses victimes. Le roi se met en colère, et proclame un édit qui impose l’amour universel. Les effets en sont réels et paradoxaux : le loup, par exemple, se met à manger de l’herbe. Mais Renart, seul, ne s’incline pas et reprend le cortège de ses exactions. Un second procès a lieu. Il est condamné. Il invente le mensonge du trésor caché par ses ennemis. La ruse est éventée. Son château de Maupertuis est alors assiégé, au cours d’une séquence qui est le clou du film. Ses adversaires, trompés par une ruse involontaire du renardeau, battent en retraite et le lion reconnaît la valeur de son adversaire dont il fait son plus proche conseiller.
La « morale » de ce film, s’il y en a une, est plutôt libertaire. La jouissance ludique que le héros éprouve à faire souffrir plus petit que soi n’est pas condamnée. Elle n’est pas non plus l’objet d’une exaltation sadique : elle renvoie plutôt à un état de pré-conscience enfantin. En face de ce Renard enfant, les adultes (le lion, l’ours, le loup), s’ils sont stupides, ne sont pas foncièrement méchants. Il faut savoir ruser avec eux pour pouvoir survivre. La « leçon » qui est donnée, s’il y en a une, est que l’on ne saurait imposer l’amour par décret. Même si l’ambiance du film est « gentille », ce n’est pas pour verser dans la guimauve disneyenne, au contraire. Starevitch montre la résistance d’un esprit indépendant à la prétention des puissants à régenter tous les aspects de l’existence. » (pages 506-507)
*****
Troisième extrait :
Dans son
introduction, F. de
*****
Quelques
remarques factuelles à la suite de la lecture de ces extraits du livre de François
de
*
Tout en mentionnant la date de 1937 qui est celle de la sortie de la version
allemande, F. de
* Ce film Le Roman de Renard
a toujours été conçu comme sonore et parlant par L. Starewitch et son
premier producteur Louis Nalpas dès 1929 !
Cette première musique a été conçue par Michel Lévine
qui a déjà sonorisé le court métrage de L.
Starewitch
* Le tournage des images du Roman de Renard
a commencé en 1929 et non en 1926 !
* Le générique du film
attribue le scénario à Ladislas et Irène Starewitch, c’est à dire
conjointement au réalisateur et à sa fille aînée. Sa femme, Anna, est
absente de ce générique.
* Effectivement Le Roman de Renard
n’a pas été diffusé, à l’époque, aux E.U.A. dans son intégralité mais
sous forme de courts métrages qui chacun relate un des épisodes. Il y a eu des
contacts concernant la version française, qui n’ont pas abouti.
* Si L. Starewitch a utilisé pour son premier film, sa première expérience
cinématographique, des Lucanus Cervus naturalisés aux articulations renforcées
pour supporter les mouvements, il a, dès son deuxième film et pour tous les
autres, construit lui-même ce qu’il nomme des ciné-marionnettes dans différents
matériaux.
Tous ces aspects, et bien d’autres, sont développés dans notre livre :
Léona Béatrice et François Martin : Ladislas
Starewitch 1882-1965, le cinéma rend visible les rêves de l’imagination,
L’Harmattan, 2003. Par exemple, pour
comprendre les procédés et les matériaux utilisés pour la construction et
l’utilisation des marionnettes, voir les pages 327-
* Evoquer l’ambiance « gentille » et
l’état de pré-conscience
enfantin renvoie à des grilles
d’analyse qui font l’impasse sur une certaine cruauté propre au monde
adulte présente dans de nombreux films de Starewitch, sur l’humour et
surtout sur les complexités du jeu du pouvoir qui domine les relations entre le
Renard et le Lion. Pourquoi ne renvoyer qu’à l’enfance quand il s’agit
d’animation, d’autant que Le Roman de Renard
était conçu comme un film « tous publics » à une époque où
cette notion de film pour enfant était dans les limbes et que le public de cinéma
n’était pas aussi segmenté qu’aujourd’hui.
Mais surtout, à part le « protochronisme » relevé à la page 77, on remarque que F. de
François Martin, février 2007.