A propos du livre de
Sébastien
Roffat : Animation et propagande. Les dessins
animés pendant
Deux passages concernent Ladislas Starewitch :
Premier passage :
Partie Un : L’Axe Tokyo-Rome-Berlin (pages 25-88).
L’animation européenne à l’heure allemande
En Allemagne (pages 48-77).
« La question de l’animation pendant la période nazie a largement été ignorée ou même falsifiée pendant de nombreuses années. Dans beaucoup de textes et de catalogues, les dates des films comme Komposition in Blau (1935) d’Oskar Fischinger ou Das gesohle Herz (1934) de Lotte Reiniger sont donnés en 1932 ou 1933 comme pour suggérer qu’ils n’ont pas été réalisés en Allemagne nazie. De la même façon, des films sonores des frères Diehl (Ferdinand, Hermann et Paul), Ladislas Starévitch, Paul Péroff et d’autres sont seulement disponibles en copies muettes et peuvent se faire passer pour des films des années vingt, bien qu’ils fussent produits en 1937 ou en 1941 en Allemagne. » (page 55).
Second passage :
Partie deux :
Années trente et drôle de guerre.
«
Ladislas Starévitch (1882-1965) est le père du premier long métrage
d’animation française de marionnettes : le
Roman de Renard, réalisé dans son studio de Fontenay-sous-Bois est terminé
en 1930 mais seulement projeté en première au César à Paris le 10 avril
1941. Il existe deux versions de ce film qui résultent des conditions de sa
production. La partie image a été réalisée en dix-huit mois entre 1929 et
1930. Les premières projections d’extraits datent de novembre 1929 à une époque
où Louis Nalpas est le producteur du film. Ce dernier ne pouvant effectuer la
sonorisation, Ladislas Starévitch reprend ses droits et charge
Dans ce second extrait du
livre de S. Roffat, nous avons scrupuleusement respecté le style et
l’orthographe de l’auteur (Starévitch au lieu de Starewitch, Reinicke au
lieu de Reineke).
La
lecture de ce passage nous amène à préciser certains aspects de la biographie
et du travail de L. Starewitch.
L. Starewitch a cédé ses droits sur le film Le Roman de Renard et sa sonorisation par un contrat en date du 5 juin 1939 à une société dirigée par Roger Richebé. A partir de ce moment c’est Roger Richebé qui dirige la sonorisation et l’achèvement du film. Le seul rôle de L. Starewitch est de tourner les scènes additionnelles qu’on lui commande. R. Richebé devient donc le maître d’oeuvre de l’ensemble du projet dans des conditions qui deviennent difficiles dès la déclaration de guerre (septembre 1939) et s’aggravent avec la défaite (mai-juin 1940) jusqu’à l’obtention du visa de censure le 7 octobre 1940. La première distribution du film attend ensuite le 10 avril 1941 à Paris.
L. Starewitch n’est donc pas directement impliqué dans l’achèvement
de ce film dont il récupère tous les droits après la fin de la guerre.
Pendant le gouvernement de Vichy et l’occupation de
La UFA a bien produit une version en allemand de ce film sous le titre de
Reineke Fuchs. Le contrat de cession des droits a été signé en 1936 et le film
distribué à partir de
Il faut ajouter que Ladislas Starewitch a subi
sous le régime de Vichy, pendant l’occupation de
Sauf à rappeler ces faits qui attestent de l’attitude de L. Starewitch
pendant cette période de l’histoire de France, ce que l’auteur, S. Roffat,
ne fait pas, nous ne voyons pas pourquoi L. Starewitch est mentionné dans
ce livre qui de plus porte en sous-titre Les dessins animés pendant la
Seconde Guerre mondiale alors que L.
Starewitch n’a pas utilisé cette technique (sauf dans un film actuellement
considéré comme perdu, en Russie avant la révolution).
Mais nous sommes stupéfaits de lire que L. Starewitch aurait
falsifié sa filmographie pour cacher son travail en Allemagne nazie, sans que
l’auteur, S. Roffat, n’avance le moindre élément qui étaye ces propos !
Outre les conditions de réalisation de Reineke Fuchs
(1937) et du Roman de Renard (1939-40)
qui sont connues depuis un certain temps de tous ceux qui prennent la peine de
s’y intéresser, il faut réaffirmer que Ladislas Starewitch n’a réalisé
aucun film entre 1937 et 1947 et que ses dernières réalisations entre 1933 et
1937 (la série Fétiche) relèvent d'une coproduction franco-britannique.
Compte tenu des enjeux, le mensonge et l’honneur, ces propos nous
paraissent extrêmement graves et nous avons demandé à l’auteur quelques éclaircissements.
De son côté le compte rendu (anonyme) du livre de S. Roffat présenté
dans 1895
la revue
de l’AFRHC (Association Française
de Recherche sur l’Histoire du Cinéma) relève également cette question en écrivant : «La question de
l’animation pendant l’époque nazie a été largement ignorée ou même
falsifiée » dit l’auteur (p. 55) sans que l’on comprenne très bien de
quelle façon il juge Fischinger, Lotte Reiniger, Peroff, Starevitch «compromis »
parce que leurs films dateraient de cette époque. » 1895, revue de l’AFRHC,
n° 50, page 171.
Notre biographie de L. Starewitch parue en 2003 décrit le plus complètement
possible ces périodes de la vie de L. Starewitch, mais certains éléments ont
été publiés depuis longtemps, en 1958 et en 1989, dans des textes auxquels L.
Starewitch lui-même a participé. Les références de ces publications
figurent dans notre biographie :
Charles Ford : « Ladislas Starewitch, the pionier with puppets on films has persevered despite war and revolution » dans Film in review, avril 1958, pp.190-192 et 216. Charles Ford était un admirateur de L. Starewitch et les deux hommes se sont souvent rencontrés.
Wladislas Jewsiewcki :Ezop xx wieku, Wladislaw Satrewicz pionier filmu lalkowego i sztuki filmowej.
Wydawnictwa Radia i Telewizji, Varsovie 1989, 231 pages et photographies.
Ce livre a été traduit en
russe. L'auteur a le souci de confronter les sources et les témoignages, de
plus il a correspondu avec L. Starewitch dans les dix dernières années de la
vie du cinéaste.
François
Martin, février 2007.
En réponse à nos questions, nous avons reçu de S. Roffat le courrier électronique suivant en date du 21 février 2007 :
« Je vous renvoie à l'article cité en bibliographie.
En aucun cas, ni Moritz ni moi ne sous-entendons que les réalisateurs allemands aient volontairement falsifié quoi que se soit !! Je parle des personnes chargées des dizaines d'années plus tard du référencement, qui, faute d'indication, ont catalogué plusieurs films avant 1933 : souvent, les bobines étant muettes, elles sont passées pour datant des années 20. En aucun cas, ce sont les réalisateurs de dessins animés qui sont responsables des catalogues des cinémathèques aussi bien allemandes que françaises. L'article "1895" est le premier à évoquer, tout comme vous, ce point : il s'agit tout simplement d'une mauvaise interprétation de l'auteur de l'article et la vôtre. Lors de mes différentes conférences, personne n'a jamais soulevé ce point. Je ne désire pas entrer dans une polémique qui n'existe pas. "Dans beaucoup de textes et de catalogues..." (p55).
L'article de "1895" croit y voir une compromission de ces artistes. En quoi la page 55 de mon livre laisse-t-elle penser ceci ? Rien. »
Cette réponse n’est en rien satisfaisante et même inquiétante sur au moins deux points :
- S. Roffat se contente de renvoyer à un article qu’il a lu sans se soucier, ni même s’interroger sur la véracité du propos. Or depuis environ 20 ans nous interrogeons des cinémathèques et des centres d’archives sur tous les continents, demandes de renseignements que nous avons parfois renouvelées à plusieurs reprises compte tenu de l’inventaire en cours des stocks, et jamais nous n’avons trouvé cette situation de films des années 1930 indiqués comme relevant de la décennie précédente concernant Starewitch. Il y a donc deux démarches totalement différentes, l’une qui consiste à colporter une information invérifiée et l’autre qui consiste à n’avancer que des données vérifiables. Dans aucun des textes et catalogues que j’ai consultés le cas ne s’est produit concernant Starewitch !
- Considérer que parce qu’à l’occasion de diverses conférences la question n’a pas été soulevée cette question ne se pose pas relève de l’aveuglement ! L’auteur de l’article de 1895 est un spécialiste de cinéma, je suis un spécialiste de Starewitch et le public des conférences (que je connais un peu aussi) n’est le plus souvent spécialiste ni du cinéma ni de Starewitch (et c’est une litote) !
Il reste que ce passage où on lit : « […] des films sonores des frères Diehl (Ferdinand, Hermann et Paul), Ladislas Starévitch, Paul Péroff et d’autres sont seulement disponibles en copies muettes et peuvent se faire passer pour des films des années vingt, bien qu'ils fussent produits en 1937 ou en 1941 en Allemagne. » est totalement faux pour L. Starewitch qui n’a lui-même réalisé aucun film à cette époque et d’une ambiguïté considérable quant au rôle des réalisateurs nommés dans le changement de dates.
Que cet auteur n’en perçoive pas les enjeux en terme de démarche historique ni en termes idéologiques est vraiment grave, qu’il agisse dans ce passage de son livre en colporteur et non en historien ne le disculpe de rien : ce passage concernant Starewitch est faux et irresponsable.
Et, faut-il encore le redire, Ladislas Starewitch n’a pas réalisé de dessins animés durant ces décennies !
François Martin, juin 2007
Voici la citation complète du texte de William Moritz :
« The question of
animation in the Nazi era has been largely ignored or even falsified. In many
texts and film rental catalogues, the dates for films such as Oskar
Fischinger’s Composition in Blue (Komposition im Blau, 1935) ou Reiniger’s The
Stolen Heart (Das gestohlene Herz, 1934) are given as 1932 or 1933, as if to
suggest that they had not been made in Nazi Germany. Similarly, sounds films by
the Diehl brothers (Ferdinand, Hermann and Paul), Ladislas Starevitch, Paul
Peroff and others are available in silent prints that can discreetly be listed
as from the 1920s, even though they were actually produced in 1937 or
L’auteur ajoute en note : Leona and François Martin, Ladislas
Starewitch (Annecy Festival, 1991), 42-43. See also Hans Schumacher,
“Starewitch in
VOIR
l'ensemble de ce texte : Resistance
and subversion in animated films of the Nazi era : The case of Hans
Fischerkoesen, William Moritz, pp. 228-
W. Moritz évoque bien que l’essentiel de Roman de Renard a été tourné autour de 1930 et juste achevé en 1937, passage que Roffat ne reprend pas.
La première de Reineke Fuchs n’a pas lieu en avril 1937, mais le 3 octobre 1937.
FM.
Il y a malheureusement bien d'autre erreurs dans le nouveau livre du même auteur : Sébastien Roffat : Histoire du dessin animé français entre 1936 et 1940, Une politique culturelle d'Etat, L'Harmattan, 2014, 356 pages. Les détails...